Il y a environ quarante millions de femmes et de jeunes filles dans le monde qui font l’objet d’exploitation sexuelle. En France, 15 000 mineur·es seraient victimes.
L’histoire du spectacle
La pièce Survivante suit l’histoire d’Océane, une adolescente de 15 ans qui, en quête de reconnaissance et d’amour, engage une conversation en ligne avec Renzo, un homme de 26 ans. Au fil des échanges, elle se laisse séduire par son attention et ses promesses d’une vie excitante. La relation devient de plus en plus toxique et abusive. Océane finit par fuguer et se retrouve piégée dans un système d’exploitation sexuelle orchestré par Renzo, qui la force à se prostituer. Au cours de cette descente aux enfers, Océane perd son identité, se transforme en Zora, une “escort” qui se débat avec des clients abusifs et des expériences traumatisantes. Elle essaie de trouver du réconfort en utilisant des drogues pour supporter sa réalité. Au fur et à mesure que son histoire se déroule, son état se dégrade, et elle devient consciente du cycle de violence et d’aliénation dans lequel elle est enfermée.
Notre projet
Au Lien Théâtre, ce projet autour de l’exploitation sexuelle des jeunes mineures, nous semble nécessaire. Cette initiative s’inscrit naturellement dans nos préoccupations de longue date concernant les violences sociétales et l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. La prostitution est une violence caractérisée, pénalement condamnable, qui nie le désir et le consentement. Nous croyons fermement que le consentement ne peut être acheté.
Ce projet représente une sorte de summum de nos thématiques, un concentré de la violence systémique que nous devons dénoncer. C’est pourquoi nous avons établi un partenariat avec l’Amicale du Nid, une association laïque et indépendante. Elle affirme que la prostitution constitue une violence et une atteinte à la dignité humaine, ainsi qu’à l’égalité entre les hommes et les femmes.
La formation proposée par l’Amicale du Nid, à laquelle nous avons participé, nous a ouvert les yeux sur le système prostitutionnel, en particulier son impact sur les mineur.e.s. Nous avons abordé des sujets tels que l’encadrement législatif dans différents pays ou les conséquences psychologiques profondes de ces expériences, souvent qualifiées de psycho-trauma.
Notre pièce se veut un petit bout de rideau levé sur ce qui n’est pas du tout le “plus vieux métier du monde”, mais la plus ancienne exploitation mondiale, dont le vécu reste souvent voilé par le silence et la honte. Ce sujet entraîne des avis divergents, alors que les victimes se retrouvent souvent réduites au silence en raison de la honte qu’elles ressentent.
Comme le souligne l’autrice Rachel Moran, elle-même victime, dans son livre L’Enfer des passes, plonger dans la prostitution, c’est « être immergée au point d’avoir l’impression que c’est la seule voie qui s’offre à vous ». Cette immersion comporte une autre caractéristique, celle d’un manque d’estime de soi, à cause de la position où la victime est reléguée dans le monde. « Aucun être humain n’est conçu ou armé pour ressentir de la joie lorsqu’il doit accepter d’être banni ou méprisé par la société ».
On assiste également à une normalisation de la prostitution. La même autrice refuse les termes « prostituée » et « client » ou « travail du sexe ». » Prostituée » signifie qu’une personne incarne, qu’elle est réellement, ce qu’on lui fait subir. « Client », ce terme laisse entendre que quelqu’un se livre à ce qui s’apparente à un échange commercial légitime. Quant au « travail du sexe », c’est la seule forme de prétendu « travail » où une personne est à la fois prestataire de services et marchandise. De la même façon, les propriétaires d’esclaves du XVIIIe siècle, se voyant contestés dans leur violation des droits humains, avaient qualifié les personnes esclaves d’« aides-planteurs ».
Avec ce projet, nous espérons engager le public dans une réflexion essentielle sur cette thématique délicate, surtout quand les jeunes placé.es dans les foyers d’accueil sont les première victimes.

Ce qu’en dit Matheo Alephis, l’auteur du texte
Dans Survivante, je n’ai pas cherché à écrire une suite de scènes dramatiques, avec une galerie de personnages en mouvement. Ce qui m’habitait, c’était un souffle. Un écho. Une forme poétique, épurée, concentrée autour d’un seul corps, d’un seul regard : celui d’Océane. Le mouvement est ici tout intérieur.
J’ai voulu entrer dans l’expérience intime de cette jeune femme, qui glisse doucement, presque imperceptiblement, dans l’enfer d’un enfermement moderne : celui des chambres d’hôtel, orchestré par un loverboy, ou plutôt un proxénète. Ce n’est pas un fait divers que je raconte, mais un processus. Celui d’une emprise, de la dissociation, de la survie psychique.
Le choix de la forme « Tu » s’est imposé très tôt. Ce « Tu » n’est pas une adresse frontale, il est un dispositif. Un moyen de créer une distance juste avec Océane. Une façon de respirer avec elle, sans jamais la juger. Ce « Tu », c’est un chœur. Un chœur multiple, empathique, qui tente de reconstruire le labyrinthe mental et émotionnel dans lequel elle évolue. Un chœur qui parle pour elle, mais aussi avec elle.
Il y a tout de même des dialogues. Des confrontations. Entre Océane/Zora et son bourreau, Renzo. Ces échanges révèlent les phases de l’emprise, les dynamiques troubles du pouvoir, de la manipulation, de la séduction toxique.
Ce qui m’a profondément intéressé, c’est la façon dont Océane vit la dissociation entre son corps et son esprit. Cette déconnexion est un mécanisme de défense, un réflexe vital. Elle permet de tenir. De survivre. Mais elle laisse aussi des cicatrices profondes : une mémoire traumatique, silencieuse, tapie dans l’ombre, comme une bombe à retardement.
J’ai écrit Survivante pour faire entendre cette voix-là. Pas une voix victimaire, mais une voix lucide. Une voix qui, malgré tout, cherche à se relever. Une voix qui se dit « survivante » et qui ose espérer un avenir. Peut-être pas un avenir idéal, mais un avenir possible.
Corps effracté
Corps agressé
Corps incesté
Corps violé
Corps blessé
Corps soumis
Corps humilié
Corps marchandé
Corps loué
Corps acheté
Corps vendu
Corps discriminé
Corps capitalisé
Corps excisé
Corps réifié
Corps racisé
Corps maltraité
Corps stigmatisé
Corps colonisé
Corps oppressé
Corps exploité
